Historique
L'USAAC émit en février 1937 la circulaire X-608, demandant un intercepteur de haute altitude bimoteur. Le terme "intercepteur" visait à contourner des mœurs rigides au sein de l'USAAC concernant les chasseurs et ne doit pas forcément être pris à la lettre. De fait, Benjamin S. Kelsey et Gordon P. Saville cherchait un appareil pouvant emporter 454 kg d'armement, et de soutenir un combat tournoyant en haute altitude. L'appareil devait de surcroît atteindre 580 km/h, et atteindre l'altitude de 6100 mètres en 6 minutes. Ces spécifications étaient ambitieuses pour l'époque et eurent leur équivalent monomoteur, qui allait mener au P-39.
Une équipe formée autour de Hall Hibbard et Clarence "Kelly" Johnson, au sein de la firme Lockheed, se pencha sur le problème. La première formule envisagée était de type push-pull, avec un armement concentré dans le nez. Celui-ci se composait entre autres d'un canon T1 de 23 mm, remplacé plus tard par un canon Colt M9 de 37 mm.
Finalement, le design évolua vers celui que nous connaissons : un appareil à train tricycle et verrière en bulle, à double queue, motorisé par 2 Allison V-1710 à 12 cylindres en V avec turbocompresseurs, et des hélices contrarotatives pour éliminer l'effet de couple.
L'appareil, désigné en interne Model 22, remporta la compétition (ses concurrents, notamment le Vultee XP1015, n'étaient pas assez avancés) le 23 juin 1937 et un contrat fut signé pour la construction d'un prototype, désigné XP-38. Celui-ci vola pour la première fois le 27 janvier 1939 entre les mains de Ben Kelsey. Sur proposition de son pilote d'essai, le XP-38 battit un record de vitesse en joignant la Californie à New York en 7 heures et 2 minutes. Malheureusement, le XP-38 fut endommagé à l'atterrissage. Cela n'empêcha pas l'USAAC de commander 13 YP-38 le 27 avril 1939.
Le premier des YP-38 vola pour la première fois le 17 septembre 1939, le dernier en juin 1941. Un servit aux essais statiques. Cependant, les tests montrèrent un phénomène de flutter, en particulier en piqué, mais également de buffeting. Or, 65 exemplaires du P-38 avaient déjà été commandés le 20 septembre 1940, et 30 furent livrés sans armement (installé plus tard). Un exemplaire reçut une cabine pressurisée et la désignation XP-38A. Les autres reçurent, à la lumière des combats en Europe, un blindage supplémentaire et des réservoirs auto-obturants. Ils furent désignés P-38D. Les problèmes de flutter et de buffeting furent corrigés plus tard, en redessinant les queues du P-38.
En mars 1940, la France et la Grande-Bretagne commandèrent 667 P-38, désignés respectivement Lockheed 322F et 322B. Pour des raisons de communalité avec les moteurs de leurs P-40, ils choisirent tous deux une version sans turbocompresseurs. La défaite de la France fit que la Grande-Bretagne prit à son compte l'intégralité de la commande. C'est au Royaume-Uni qu'il fut baptisé "Lightning", Lockheed ayant envisagé le nom d'Atalanta. 143 Lightning I et 524 P-38E (Lightning II) devaient être livrés, en particulier à la lumière de l'expérience de la Bataille d'Angleterre et du Blitz. Mais l'attaque de Pearl Harbor changea tout et seuls 3 Lightning I furent livrés pour évaluation, les autres étant reversés à l'USAAF.
Le P-38 entra en service en juillet 1941 au sein du 1st Fighter Group. Il rejoignit la défense côtière après le jour d'infamie. Leur autonomie leur permirent d'être déployés aux iles Aléoutiennes, en Alaska, où le climat est très rude. 2 P-38E obtinrent la première victoire du Lightning le 9 août 1942, sur deux H6K, au terme d'une patrouille de 1600 km. Il fut le chasseur le plus efficace de l'USAAF dans le Pacifique, son autonomie et ses 2 moteurs le rendant sécurisant au-dessus des longues étendues de mer. Son armement était suffisant contre les chasseurs japonais moins protégés que ceux des Allemands, mais il devait éviter le combat tournoyant et recourir à des attaques en plongée. 1800 victoires seront enregistrées. La plus célèbre mission engageant des P-38 fut bien sûr l'interception et la destruction du G4M qui convoyait l'amiral Isoroku Yamamoto. 16 P-38G furent engagés contre 2 G4M et 6 Zeros le 18 avril 1943 : les 2 G4M et 2 Zéros furent abattus pour la perte d'un P-38. Le corps de Yamamoto fut retrouvé le lendemain.
Les P-38 furent déployés en Grande-Bretagne après la bataille de Midway dans le cadre de l'opération Bolero. Le 14 août 1942, un Fw 200 fut la première victime allemande du P-38. Il servira dès lors de chasseur d'escorte à long rayon d'action pour les premiers raids au-dessus de l'Allemagne et de l'Europe occupée. Sa forme particulière et aisément reconnaissable le fera choisir par Doolittle en personne, alors commandant de la 8e Air Force, pour participer au Débarquement de Normandie. Le P-38 servira de chasseur-bombardier lors de la Libération. Cependant, les raids s'avérèrent désastreux, le P-38 étant nettement inférieur aux Bf 109 et Fw 190, bien plus rapides. Il arrivait à un moment où les Alliées disputaient la maîtrise de l'air face à une Luftwaffe encore efficiente. Le P-38J résolut en partie ce problème, mais le P-51 devait le remplacer efficacement dans les missions d'escorte à partir de septembre 1944. Le P-38 fut vite relégué aux missions de reconnaissance.
Il sera également déployé lors de l'opération Torch et accomplit ses premières missions d'escorte avec des B-17 au-dessus de Tunis. C'est en Afrique du Nord, en 1943, qu'il y gagnera son surnom côté allemand de "diable à la queue fourchue". Mais c'est aussi en Méditerranée, où il resta actif jusqu'à la fin de la guerre, qu'il y subira le plus de pertes (13 P-38 abattus sans aucune victoire sur des Bf 109 le 25 août 1943 : ce genre de bataille se reproduira). Des P-38 furent également capturés et évalués par la Luftwaffe et la Regia Aeronautica.
Nombre de projets eurent lieu autour du P-38 : une variante dotée de flotteurs largables avant un combat, un P-38E utilisé expérimentalement pour remorquer un planeur CG-4 en 1942, des P-38 utilisés pour le transport de personnel et de fret léger grâce à des nacelles. Un Lockheed 822 navalisé fut proposé à l'US Navy (rejeté car trop grand, il ne dépassa pas le stade de la planche à dessin). Un P-38J fut utilisé pour le ravitaillement en vol (trop peu pratique). Un P-38L fut doté de 3 mitrailleuses de 15,2 mm pour la lutte anti-chars, mais dès 1942 ce calibre était trop faible pour un blindé. L'idée réapparue avec le canon T17 (en réalité le MG 151), mais les essais ne furent pas concluants. Un P-38L fut doté de 8 mitrailleuses de 12,7 mm dans le nez et de 4 mitrailleuses en nacelle sous les ailes, mais là aussi ce fut un échec. Enfin, Hindustan Aeronautics transforma un P-38L en transport de VIP : un second siège, confortable, était installé dans un nez vitré avec un intérieur luxueux.
Pendant la seconde guerre mondiale, il sera également utilisé par l'Australie (5 F-4 de reconnaissance reçus à partir du 31 août 1942, et retirés du service au 1er septembre 1944). La République de Chine utilisa 15 P-38J et L, et recevra autant de F-5E et G après-guerre. Il fut utilisé par la France Libre (F-5A et B, puis F-5G après la guerre). Antoine de Saint-Exupéry trouvera la mort à bord d'un F-5B le 31 juillet 1944. Une partie de l'épave fut retrouvée à l'est de l'île de Riou, au sud de Marseille, en 2000 (confirmée en 2004). L'état de l'épave indique clairement que son F-5B toucha la mer à très haute vitesse. 2 P-38 furent internés et réutilisés par le Portugal. L'Union soviétique répara et réutilisa quelques P-38 trouvés en Europe de l'Est.
A la fin de la guerre, le P-38 était clairement dépassé et il sera retiré du service de l'USAF en 1949. 100 exemplaires seront livrés à l'Italie en 1952. Ils subirent nombre d'accidents (surtout des erreurs de pilotages et pannes moteurs) et furent retirés du service en 1956. 12 furent vendus au Honduras, 8 à la République Dominicaine (6 F-5 et deux biplaces désarmés). La majorité fut ferraillée, voire abandonnée sur place dans les bases les plus éloignées du Pacifique. La dernière mission de guerre accomplie par un P-38 eut lieu le 27 juin 1954 : un P-38M affrété par la CIA et supportant le coup d’État au Guatemala bombarda le cargo britannique SS Springfjord.
Après la guerre, il connut une brillante carrière comme warbird et participe à de nombreuses courses, comme celle de Reno. Il fut également utilisé dans des missions de reconnaissance aérienne et de cartographie jusque dans les années 1950, notamment en Colombie.
10037 exemplaires seront produits de 1941 à 1945. Le 5000e exemplaire produit (un P-38J) fut surnommé Yippee et fut utilisé pour des tournées de propagande. Il inspira certaines créations de l'époque : Le Constellation réutilise son aile à l'échelle. Il inspire aussi des concepteurs de voitures Cadillac et Studebaker. Enfin, le son de ses moteurs sera utilisé pour les fameux speeders du film "la guerre des étoiles".
En conclusion, le P-38 fut un bon chasseur au début de la guerre, surtout dans le Pacifique où il avait affaire à des chasseurs certes agiles, mais faiblement protégé. Il se montra dépassé par le Bf 109 et les Allemands eux-même le comparaient plutôt à leur Bf 110, un autre chasseur lourd qui montra aussi ses limites. Malgré sa silhouette inimitable et ses performances dans le Pacifique, il devait finalement céder sa place à une nouvelle génération de chasseurs et finalement être brillant dans le rôle de la reconnaissance.
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