Historique
Le concept des avions à décollage vertical a connu un certain succès à partir des années 1950, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. Cependant, bien peu parvinrent au stade de la production en série. Si certains apparaissaient très intéressants sur le papier, il y avait un trop grand fossé entre les essais et les contraintes du service opérationnel.
L'Union Soviétique s'intéressa tardivement à ce concept, sous l'influence des pays occidentaux. En 1967, le constructeur Yakovlev avait ainsi dévoilé le Yak-36 (code OTAN :
Freehand). Ce prototype, clairement inspiré de modèles britanniques, devait permettre aux ingénieurs soviétiques de mener de nombreux essais et de progresser dans le domaine des avions VTOL et STOL. Mais il n'était pas prévu pour entrer en service.
En janvier 1969, Yakovlev reçut une commande du gouvernement soviétique pour développer un véritable avion de combat à décollage vertical, susceptible d'être embarqué sur les futurs porte-aéronefs soviétiques (classe
Kiev) et sur les porte-hélicoptères de classe
Moskva. Il devait pouvoir mener des missions d'attaque air-sol et air-surface, et disposer de capacités de chasse diurne contre des aéronefs volant à basse vitesse.
Yakovlev s'inspira là encore des réalisations britanniques et entreprit de modifier le Yak-36. Les décisions prises durant le processus de conception devaient grandement sur le reste de la carrière du nouvel appareil. Après avoir construit un fuselage d'essai (désigné DLL), le bureau d'études produisit quatre prototypes. L'un d'entre eux, baptisé VM-01, effectua son premier vol (stationnaire) le 27 septembre 1970, à faible hauteur. Le premier vol classique eut lieu en janvier 1971, tandis que le premier vol précédé d'un décollage court était mené en mai.
Les essais durèrent plusieurs années, ponctuées d'accidents et de réussites (premier atterrissage vertical sur un navire en novembre 1972, construction des premiers avions de série fin 1974, fin des essais en mai 1976). Désigné officiellement
Yakovlev Yak-38, le nouvel appareil embarqué de la Marine soviétique fut officiellement déclaré en service fin 1976. Il entra en service sur le porte-aéronefs Kiev. C'est sur ce navire qu'il fut observé pour la première fois par des observateurs occidentaux, lors d'une croisière d'essais entre Nikolaiev et Mourmansk.
Le Yak-38 (OTAN :
Forger) était un appareil d'apparence originale, avec deux petites ailes en flèche en position médiane, partiellement repliables (à la moitié de chaque aile) pour épargner de la place. Doté d'un train d'atterrissage tricycle rétractable (vers l'arrière), il embarquait un unique pilote, qui prenait place dans un petit cockpit dont la verrière offrait une visibilité réduite vers l'arrière.
Il disposait d’une motorisation bien particulière. Yakovlev fit le choix d'un système double, avec un réacteur à poussée vectorielle et deux réacteurs de sustentation à l’avant. Le moteur R-27V servait durant le vol horizontal. Pour l'assister durant les phases de décollage et d'atterrissage, deux petits moteurs d'appoint furent installés derrière le cockpit. Ils ne servaient que durant les phases de transition, et étaient inutiles durant le vol. Ils représentaient donc un poids mort durant les phases horizontales.
Pour faciliter la tâche du pilote, des systèmes d'éjection d'air furent implantés à chaque extrémité de la voilure, au niveau du nez et de la dérive. Ces systèmes permettaient au pilote de mieux contrôler son appareil. Pour sa sécurité, Yakovlev développa un système d'éjection automatique, le
SK-EM, qui se déclenchait en cas de panne d'un des trois moteurs. On estime que le
SK-EM sauva la vie d'au moins une trentaine de pilotes, notamment durant les phases critiques de l'atterrissage et du décollage.
L'équipement électronique était très limité. Il comprenait essentiellement un système d'identification IFF (OTAN :
Odd Rods), un pilote automatique, un système de guidage à l’appontage (monté sous la pointe du radar) et un équipement de communication. La pointe avant abritait un petit radar télémétrique, avec un mode de recherche en surface. Le cockpit était pourvu d'un HUD très simple, et le pilote pouvait compter sur le brouilleur actif Sirena-A pour se protéger des missiles ennemis.
L'armement reposait entièrement sur les quatre points d'emport sous voilure, ayant une capacité d'emport total de deux tonnes. Le Yak-38 pouvait embarquer jusqu'à deux pods-canons (UPK 23-50), des pods lance-roquettes ou des bombes (250 ou 500 kilos). Des missiles air-air pouvaient aussi faire partie de son arsenal mais seuls des missiles à guidage infrarouge pouvaient être utilisés, ce qui le pénalisait. Son arme la plus puissante était sans conteste le missile air-surface Kh-23 (OTAN : AS-7
Kerry).
Embarqué à hauteur de 14 appareils (12 monoplaces et 2 biplaces) sur chaque porte-aéronefs soviétique, le Yak-38 devint vite une vision classique pour les navires occidentaux suivant les groupes aéronavals soviétiques. Il démontra cependant rapidement ses limites. Incapables d'opérer correctement par temps chaud (la poignée d'exemplaires engagés en Afghanistan ne pouvant même pas voler durant les mois les plus chauds), le
Forger ne pouvait pas rivaliser avec les appareils embarqués occidentaux. Son rayon d'action était très limité, et l'ajout de deux réservoirs auxiliaires de 600 litres chacun réduisait d'autant l'armement. L'appareil était également complexe à entretenir.
Lors des premières manœuvres du
Kiev, les analystes de l'OTAN constatèrent que que le Yak-38 ne décollait pas de manière verticale. Ils en conclurent qu'il n'en était pas capable. En réalité, les Soviétiques autorisèrent ce type de décollage après plusieurs années de tests supplémentaires, en 1979. Ils procédèrent également à plusieurs améliorations en cours de production, afin d'améliorer les performances du
Forger. On augmenta notamment la poussée des trois moteurs, en remplaçant par exemple les deux moteurs de sustentation par des RD-36-35 FVR (3 050 kgp de poussée, contre 2 900 pour les RD-36-35 antérieurs.
On a identifié trois versions principales du
Forger : le
Yak-38, le
Yak-38M (environ 50 exemplaires produits) et le biplace d’entraînement
Yak-38UForger-B (cockpit biplace en tandem, nez abaissé ; 38 exemplaires). Le Yak-38M était une version améliorée du Yak-38, équipée de nouveaux moteurs (un R28V-300 de 6 940 kgp et deux RD-38 de 3 252 kgp). Le Yak-38U quant à lui fut développé pour l'instruction des pilotes et entra en service en 1978. Il se distinguait notamment des monoplaces par un plus grand fuselage allongé, un nez allongé et aplati, et un second poste de pilotage pour l'instructeur (derrière le pilote). Moins performant et non armé, il n'était pas non plus pressurisé.
Les Soviétiques travaillèrent également à d'autres variantes, dont le
Yak-38MP (qui devait embarquer un radar Phazotron et une nouvelle avionique) et le
Yak-39 (qui devait incorporer une plus grande voilure, un radar à modes air-air et air-sol et devait posséder une plus large autonomie). Ces versions ne furent cependant pas menées à terme. Aucun appareil ne fut jamais exporté.
Environ 230 exemplaires du Yak-38 sont sortis d'une usine à Saratov. L’appareil fut retiré assez rapidement du service à la chute de l'Union Soviétique (les Yak-38 étant remplacés dès 1985 par les Yak-38M). Le projet qui devait donner naissance à son successeur, le Yak-141 (code OTAN :
Freestyle) fut également abandonné, malgré un certain degré d'avancement. Les Yak-38 survivants sont aujourd'hui stockés, sans grand espoir d'être un jour réutilisés.
Texte de Ciders, avec son aimable autorisation.
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