Juste une remarque:
Dassault MD.620 JerichoJe ne suis pas un numéro!!!
Dès le stade des premiers essais d'un vecteur balistique, il convient de maîtriser sa trajectoire entre le site de lancement et les points d'impact sur une cible virtuelle, définie par ses coordonnées en altitude, latitude et longitude. Comme pour les avions en essais, les missiles sont bourrés de systèmes d'analyse des conditions du vol, du comportement des structures et des paramètres de la trajectoire. Les informations recueillies par ces multiples capteurs sont transmises par des moyens radioélectriques vers des récepteurs au sol. En fin de parcours du missile, des équipements sont alors nécessaires pour enregistrer et observer les conditions de rentrée dans l'atmosphère, puis d'impact. Il faut pouvoir en déterminer, avec la plus grande précision, les coordonnées géographiques obtenues dans des conditions atmosphériques réelle afin de les comparer avec les données du cahier des charges sur lesquelles le constructeur du missile s'est engagé. C'est là qu'interviennent les Avions de Mesures et d'Observations au Réceptacle, ou DC-7 AMOR du Centre d'Essais en Vol (CEV).
Cette mission très particulière n'est pas tout à fait nouvelle pour le CEV dans la mesure où il a été associé, au début des années 1960, à la mise au point du missile sol-sol Dassault MD.620 Jericho. Les mesures, commandées pour le compte d'Israël, sont alors réalisées par un Nord 2501 spécialement modifié. Cependant, le programme de missiles stratégiques français exige lui des moyens techniques beaucoup plus importants qu'un valeureux Noratlas.
En premier lieu, il s'agit de trouver le type d'avion susceptible d'être adapté aux exigences de ce type de mission très spécifique. Un minimum de trois appareils est requis car deux au moins doivent être simultanément sur zone au moment des tirs.
Compte tenu du petit nombre d'appareils envisagé, il n'est pas question de concevoir un appareil spécifique mais plutôt de trouver un modèle disponible "sur étagère", pouvant subir les transformations nécessaires sans diminution de sa robustesse structurale, ni altération sensible de ses performances. Par ailleurs, il doit pouvoir recevoir et alimenter en énergie électrique toute une série d'équipements : de localisation (radio et optique), de télémesure, de communication, d'enregistrement, de chronométrie, d'observation radar, de navigation, de lancement de marqueurs…Il doit également disposer d'un fuselage de volume suffisant pour acceuillir, en plus d'un équipage de conduite de cinq membres, une dizaine d'expérimentateurs. Les missions pouvant dépasser 20 heures de vol avec un décollage de France jusqu'à une zone d'impact située entre 3000 et 5000km, des aménagements de vie doivent aussi être prévus.
En toute logique, les premières évaluations incluent des appareils militaires dont la mission comporte des aspects proches de ce que l'on attend des futurs AMOR, tels que le Lockheed P-3 Orion. Le prix à neuf de ces appareils conduit néanmoins à prospecter parmi les avions civils. C'est ainsi que deux propositions sont étudiées : celle d'Air France pour 2 L-1093 Super Constellation dont la retraite a été anticipée, et celle d'UTA pour autant de DC-7C ex-TAI. En effet, l'entrée en service du Boeing 707 à la fin des années 1950 a déclassé un grand nombre de quadrimoteurs à hélices ayant un bon potentiel d'heures de vol.
Le choix du Douglas DC-7C par le CEV et la DGA, en septembre 1963, et le marché signé en décembre, n'apportent qu'un premier élément de la solution. En effet, il reste à vérifier que les modifications structurales nécessaires, dont certaines peuvent avoir des conséquences aérodynamiques, sont réalisables. Ainsi, quelle sera l'influence sur la structure et les écoulements de la mise en place de volumineux radômes au-dessus et au-dessous du fuselage ? C'est ce qu'une mission de spécialistes français va vérifier à Los Angeles, chez Douglas, essais d'une maquette en soufflerie à l'appui, avant que ne soit concrétisée l'acquisition de 3 DC-7C, deux de l'UTA et un de Swissair.
La mission très particulière des DC-7 AMOR porte sur l'observation des deux dernières phases de la trajectoire des missiles : la rentrée dans l'atmosphère et le suivi de l'ultime séquence du vol soit en altitude, soit juste à l'impact (y compris la localisation précise du point). L'une et l'autre des phases justifient l'utilisation d'un radar spécifique. La première nécessite des antennes fixes de grandes dimensions visant vers le haut installées dans un énorme radôme radar implanté sur le fuselage, à l'aplomb de la voilure. La seconde est assuré par un radar aéro-maritime d'observation et de localisation des phénomènes se produisant à basse altitude ou à la surface de l'eau (gerbe, coloration artificielle au point d'impact…), équipé d'une antenne rotative orientée vers le bas. Elle est installée dans un second radôme, plus large afin de permettre sa rotation, greffé sous la coque.
Cependant, ce n'est pas le radôme dorsal, situé sur le centre de gravité de l'appareil, qui pose le plus de problèmes en perturbant les écoulements aérodynamiques, mais bien le radôme ventral. Imposé par la nécessité de conserver l'antenne déployée extérieurement à la cellule (pour des raisons techniques, mécaniques et radioélectriques), il est implanté en avant du centre de gravité. En conséquence, en situation de dérapage, des phénomènes de surcompensation en lacet peuvent entraîner une dégradation grave de la maniabilité. La présence de ces protubérances se traduit non seulement par une trainée supplémentaire, mais aussi par des efforts longitudinaux ou latéraux de la structures, nécessitant des renforts. Malgré tout, à puissance égale, la perte de vitesse de croisière se révèle inférieure à 10km/h.
Si les cellules s'avèrent être en très bon état, les moteurs, en revanche, suscitent des grandes inquiétudes. Le Wright TC18EA1 qui propulse le DC-7C est à l'extrême limite de ce que l'on peut attendre d'un moteur à pistons. La version R-3350 d'origine, fabriquée à plusieurs milliers d'exemplaires pour équiper des avions comme le Constellation ou le Neptune, est un classique 18 cylindres en double étoile, fiable et performant, délivrant 3250 ch au décollage. Cependant, pour en tirer les quelques dizaines de chevaux de plus demandés par les avionneurs pour leur Super Constellation et DC-7C transatlantiques (à la masse maximale au décollage augmentée), Wright conçoit une version améliorée dont l'augmentation de la puissance se paie par plus de complexité, de fragilité et moins de fiabilité. 150 ch de plus par moteur sont gagnés, mais au prix d'une précarité qui vaut au DC-7 AMOR le sobriquet de "meilleur tri-moteur transatlantique", tant les pannes sont nombreuses.
De plus, à cause des retards de mise à feu des missiles pouvant imposer aux DC-7 AMOR de patienter sur la zone d'impact pendant plusieurs heures, 4 réservoirs d'essence supplémentaires sont installés dans la cabine à l'aplomb du centre de gravité. Ces 3800 litres de carburant venant s'ajouter aux 28.400 litres de la version standard, l'autonomie se trouve portée à environ 25 heures de vol.
Enfin, quatre consoles sont aménagées dans la coque en avant et en arrière de l'aile afin de permettre aux observateurs de disposer d'une vision verticale. A cela, il faut ajouter un périscope, une caméra, un cinédérivomètre (un appareil servant à mesurer la dérive et la vitesse en visant un point de repère survolé, sans qu'il ne soit nécessaire de l'identifier) et un tube lanceur de fusées de marquage. Les instruments les plus inhabituels sont deux horloges à quartz de très grande précision permettant la datation rigoureuse de tous les enregistrements. Tous ces équipements et antennes représentent autant d'ouvertures à aménager dans la coque pressurisée du fuselage, ce qui constitue un chantier délicat. Ce dernier est confié aux ateliers d'UTA au Bourget, qui connaissent bien le DC-7.
A partir de 1963, les trois appareils entrent en atelier, et le premier (s/n F-ZBCC), complètement modifié, vole en octobre 1966, suivi des deux autres au printemps 1967 (s/n F-ZBCA et F-ZBCB).
Entre 1966 et 1978, les DC-7 AMOR participent à l'observation de plus de 200 tirs de missiles balistiques au départ de la côte des Landes ou de sous-marins en plongée au large de la Bretagne. La base de rattachement de la section AMOR est, dès à l'origine, l'aérodrome de Brétigny-sur-Orge, site principal du CEV, mais s'accorde aussi des détachements à Colomb-Béchar en 1967-1968. A partir de 1977, suite à un accord avec le gouvernement portugais, une base permanente, avec hangars et moyens de maintenance, est crée sur l'île de Santa-Maria, aux Açores, dans le but de réduire considérablement la durée des vols de transit au fur et à mesure de l'augmentation de la portée des missiles.
Au cours de ces liaisons, les avions sont aussi fréquemment utilisés au bénéfice des navires auxiliaires maintenus sur zone entre deux tirs. En effet, à l'aller, des conteneurs souvent chargés de courrier sont largués à proximité des navires grâce à une sorte de civière basculante disposée devant une des portes de la cabine. La visée est pour le moins aléatoire, mais pas autant qu'on pourrait le penser. En effet, un jour il semblerait qu'une des charges soit tombée sur le pont-même du Marion Dufresne, navire laboratoire de l'Institut français pour l'exploitation de la mer (Ifremer) ! Lors des vols retour, les avions récupèrent au passage les données enregistrées par les navires afin de les rapporter au plus vite en France : télémesures de trajectoire, base de temps, coordonnées de la position du navire et du point d'impact par rapport à des balises immergées.
La grande autonomie des DC-7 AMOR et la technologie de leurs équipements (pour l'époque) attirent les milieux scientifiques les plus divers. Ainsi, dans le cadre de grandes campagnes internationales de recherches météorologiques, les AMOR participent au programme Pour Augmenter les Précipitations (PAP) conduit par les universités de Clermont-Ferrand et Lille afin de comprendre et d'arrêter la progression des sables au Sahel. Ils participent également à des programmes de recherche en bathythermie (étude des variations de température de l'eau) en mer Baltique et en Méditerranée, en coopération avec l'Ifremer et au profit de la pêche industrielle.
Enfin, certaines missions demeurent uniques. La France étant en permanence dépositaire de l'étalon international du temps, la section AMOR est sollicitée, en septembre 1970, pour participer à l'étalonnage des horloges de quatre des principaux observatoires du monde occidental : Paris, Hailsham (près de Londres), Ottawa et Washington. A ces occasions, le DC-7 embarque deux horloges atomiques qui vont permettre de synchroniser entre elles les horloges de référence de ces pays avec une précision inférieure à 30 nanosecondes !
La variété et la haute technicité des missions dans lesquelles sont impliqués les DC-7 AMOR constituent pour les équipages une riche compensation des heures passées au-dessus de l'Atlantique dans l'attente des missiles aux horaires rendues aléatoires par l'incertitude de technologies aujourd'hui encore, précaires. L'aventure de ces appareils méconnus du grand public prend fin en septembre 1978.
Le DC-7 AMOR s/n F-ZBCA est aujourd'hui stocké dans les réserves du Musée de l'Air et de l'Espace du Bourget.
Texte d'Ansierra117.
Douglas DC-7 AMOR n°45061 | Ex-DC-7C de Swissair immatriculé HB-IBK. Il est aujourd'hui stocké au Musée de l'Air et de l'Espace du Bourget. |
Douglas DC-7 AMOR n°45367 | Ex-DC-7C de TAI/UTA immatriculé F-BIAQ. |
Douglas DC-7 AMOR n°45446 | Ex-DC-7C d'UTA immatriculé F-BIAR. |
Dassault MD.620 JerichoJe ne suis pas un numéro!!!