En 1915, l'Amirauté britannique réclama l'étude d'un bombardier biplace utilisable sur le front ouest. Sopwith venait juste de construire l'unique exemplaire du Sigrist Bus, un appareil motorisé par un Gnome rotatif de 80 ch et qui battit le record britannique d'altitude dès son premier vol, le 5 juin 1915. Herbert Smith utilisa cet appareil, conçu par Fred Sigrist, comme base pour le Sopwith LCT (Land Clerget Tractor) agrandi et doté d'un moteur Clerget de 110 hp.
Le LCT, qui portait le numéro de série 9400, reprenait l'hélice tractrice du Sigrist Bus, ce qui était une première pour un appareil britannique mais posait des problèmes par rapport à la mitrailleuse, pas encore synchronisée. Une autre nouveauté venait des supports raccordant aile supérieure et fuselage. Une paire, la plus petite, se rattachait à la cabine et l'autre, la plus longue, à l'aile inférieure. Vu de devant, cela formait un W. Cette configuration allait donner au nouvel appareil son surnom de "1½ Strutter" (One and One-Half) tandis que la désignation officielle restait Sopwith 9400.
Le prototype du Strutter fut prêt à la mi-décembre 1915 et effectua peut-être son vol inaugural à ce moment-là. Les tests officiels commencèrent en janvier 1916. Le Sopwith était construit en bois et en toile, avec 2 cockpits séparés pour les membres d'équipage. L'observateur disposait d'une mitrailleuse Lewis 0.303 tirant vers l'arrière, monté sur un support Scarff ring qui allait devenir standard pendant la première guerre mondiale mais qui était encore très récent. Quand au pilote, les systèmes de synchronisation vickers-Challenger, Ross ou Sopwith-Kauper n'étaient pas toujours fiables. Certains des premiers Strutter furent dépourvus de mitrailleuse tirant vers l'avant, d'autres endommagèrent l'hélice en tirant avec la mitrailleuse Vickers 0.303.
4 bombes de 25 livres ou 2 bombes de 65 libres (pour les missions anti sous-marins) prenaient place sous les ailes. Une version de bombardement monoplace fut envisagée dès le départ, une soute remplaçant l'observateur pour emporter 4 bombes de 65 kg. Les Britanniques nommèrent les versions biplaces "type 9400" et les monoplaces "type 9700". Ils construisirent à eux seuls 16 versions, dont 6 hydravions.
La RNAS reçut ses premiers exemplaires en février 1916 et les Strutter furent utilisés soit pour des missions de bombardement, soit pour escorter les Caudron G.4 et bombardiers Bréguet. L'appareil intéressa également le Royal Flying Corps, qui commanda ses exemplaires en mars 1916. Mais Sopwith étant déjà surchargé de travail avec les commandes de la marine, la production pour la RFC échut à Ruston Proctor et Vickers. Cette production ne devint pas optimale avant août.
Pour l'offensive sur la Somme, programmée pour juin, la RFC n'eut d'autre solutions que de se faire prêter des Strutter appartenant à la Navy, n'ayant aucun autre avion capable. Ceux-ci arrivèrent début juillet 1916 et équipèrent le squadron n°70. Le Strutter permit de reprendre la supériorité sur les Fokker Eindhover (Fokker E.I et ses successeurs). Le squadron n°45, puis le n°43, furent également équipés de Strutter. Mais l'arrivée des Albatross renversa la tendance et en janvier 1917, le Strutter était dépassé comme chasseur, même remotorisé avec un Le Clerget 9B de 130 cv.
Il lui restait la possibilité de servir comme avion de reconnaissance, s'il était correctement escorté. Mais il souffrit malgré tout de "l'avril sanglant" de 1917. Le squadron n°43 subit à lui seul 35 pertes. Le Strutter s'avérait trop stable pour faire un bon avion de chasse, la structure était trop fragile et la distance entre le pilote et l'observateur rendait difficile toute coopération et coordination entre eux.
Le Strutter fut retiré des premières lignes en octobre 1917 et remplacé par le Sopwith Camel. Mais ça ne sonna pas pour autant le glas de sa carrière. Au contraire, il fut reversé dans des squadrons de défense territoriale, certains appareils étant modifiés en monoplace sur le terrain avec une ou deux mitrailleuses Lewis montées sur support Foster, c'est-à-dire sur l'extrados de l'aile supérieure. Cela permit de régler le problème de la mitrailleuse (mal) synchronisée. De tels appareils furent surnommés Sopwith "Comics".
La RNAS, quand à elle, utilisa ses Strutter comme bombardiers aussi bien en France que sur le théâtre méditerranéen, et même comme avion embarqué, soit sur porte-avions soit sur d'autres navires. Il fut surnommé Ship's Strutter. L'US Navy acquit plusieurs de ces appareils, peut-être 4, qui furent utilisés dans les années d'immédiat après-guerre. La RNAS et le RFC conservèrent le Strutter jusqu'à la fin de la guerre comme avion d'entraînement et resta très populaire.
Mais le principal utilisateur du Strutter ne fut pas la Grande-Bretagne, comme on pourrait le croire, mais la France. En mai 1916, il était flagrant que les bombardiers Farman et Bréguet, à hélice propulsive, étaient dépassés. Le Strutter fut commandé à plusieurs milliers d'exemplaires et construit sous licence par bon nombre de fabricants aéronautiques français. 3 versions furent utilisées par l'Aéronautique Militaire : l'1A2 biplace de reconnaissance, l'1B2 biplace de bombardement et l'1B1 monoplace de bombardement. 74 escadrilles en furent équipées. 20 Sop 1A2 équipèrent l'aéronavale française.
Faute d'alternative, ils restèrent en service jusqu'à début 1918, malgré leur obsolescence. Les Strutter construits en France équipèrent 3 squadrons belges pendant la guerre, la force expéditionnaire américaine avec 384 1A2 et 130 1B1 en 1917-1918, et d'autres pays après la guerre.
La Russie et le Japon construisirent également le Strutter sous licence. Duks et Lebedev construisirent 100 Strutter pour la Russie, qui furent complétés par d'autres appareils fournis par la France (quelques dizaines) et la Grande-Bretagne (148 exemplaires). Ils servirent pendant la guerre civile russe, puis lors de la guerre contre les Polonais au sein de la force aérienne soviétique. Les Polonais en capturèrent au moins 3, tandis que les États Baltes en capturèrent d'autres.
Les Japonais le construisirent sous la désignation So-shiki Model 1 et 2, et l'utilisèrent au sein de la force aérienne Impériale. Ils furent déployés par la force expéditionnaire en Sibérie en 1918.
Pendant ou après la guerre, on retrouva des Strutter en Afghanistan (1 exemplaire de 1921 à 1924), en Australie, au Brésil (3 exemplaires), en Estonie (un exemplaire russe capturé), dans la marine grecque (6 exemplaires utilisés contre la Turquie de 1918 à 1921), en Lettonie (4 appareils russes capturés), en Lituanie (1 appareil russe capturé, peut-être deux autres exemplaires), au Mexique (1 appareil de 1920 à 1924), aux Pays-Bas (5 exemplaires internés pendant la guerre : les Pays-Bas étaient alors neutres), en Pologne (3 exemplaires russes capturés), en Roumanie et en Ukraine (un appareil provenant de Russie, en 1918).
De plus, le Strutter connut une carrière civile après la guerre, en France, en Grande-Bretagne et au Japon. Dans ce cadre, on le retrouve aussi en Argentine, en Suède et en Suisse. En France, on comptait 55 Strutter inscrits sur les registres civils en 1922.
1439 Strutter furent construits par la Grande-Bretagne, 4797 en France et 100 en Russie. 4 exemplaires originaux seulement ont survécus, un Strutter 1A2 étant exposé au musée du Bourget et un exemplaire ex-argentin étant en cours de restauration par The Vintage Aviator Limited, une compagnie néo-zélandaise appartenant à Peter Jackson. Plusieurs répliques sont en état de vol, motorisées par un moteur en étoile et non plus rotatif.
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