Historique
En 1993, la DARPA (l’agence américaine de recherche et développement de la défense) lança le programme CALF (Common Affordable Lightweight Fighter) afin de trouver un successeur unique à tous les appareils légers des forces armées américaines, à savoir les F-16 Fighting Falcon, F/A-18 Hornet et AV-8 Harrier II. Au même moment, l’US Air Force et la Navy s’investissaient dans le programme JAST (Joint Advanced Strike Technology) dont le but était de défricher les technologies à incorporer dans des appareils de nouvelle génération devant remplacer les F-14 et F-111.
En 1994, le Congrès, dans un souci de rationalisation des dépenses, décidait de regrouper ces deux programmes en un seul, baptisé JSF (officiellement Joint Strike Fighter), et devant aboutir à un chasseur (Fighter) bombardier (Strike) commun (Joint) aux trois armes : Air Force, Navy et Marine Corps, ainsi qu'à la Royal Air Force et à la Royal Navy. La Grande-Bretagne, désireuse de remplacer ses propres Harrier GR.7 et 9 depuis 1996, s'est jointe au programme dès janvier 2001.
Après que de nombreuses sociétés eurent participé aux premières phases de ce programme, seuls les projets des firmes Boeing (X-32) et Lockheed Martin (X-35) furent sélectionnés le 16 novembre 1996 afin de développer chacune deux exemplaires d'un démonstrateur technologique, sur 4 ans. Le projet de la firme McDonnell Douglas fut rejeté car trop complexe.
Il fut interdit aux compagnies d'utiliser leur propre fonds et elles obtinrent chacune 750 millions de dollars, incluant l'avionique et le logiciel. Le but était de leur éviter la banqueroute et de les inciter à concevoir un appareil économique à produire. 3 variantes étaient en vue : l'une opérant à partir d'un aérodrome, la deuxième à partir d'un porte-avions, et enfin la dernière à décollage et atterrissage verticaux.
Boeing eut la même stratégie que Lockheed-Martin, en étudiant des versions avec le plus de communauté possible. Le X-32 fut conçu autour d'une aile delta haute en fibre de carbone moulée d'une seule pièce. Son bord d'attaque est de 55° et elle est capable d'emporter 20 000 livres de carburant. Un tel angle permettait de limiter les effets du vol transsonique et d'installer des antennes intégrées. Son train tricycle était rétractable, le train principal se logeant dans la jonction aile-fuselage. Le pilote était placé dans un cockpit très en avant.
Afin de répondre à l'exigence de la variante ADAV, Boeing fit le choix de monter un réacteur (un dérivé du Pratt & Whittney F119 de 28000 lbs à sec et 43000 lbs avec PC) à poussée vectorielle juste derrière le cockpit. Non seulement cela déplaçait le centre de gravité plus en avant, mais cela nécessitait également une très large entrée d'air juste sous le nez, à la manière du F-8 Crusader. Cette entrée d'air lui valut, chez Boeing même, le surnom de "Monica" en référence au scandale qui éclaboussait alors la Maison Blanche.
La construction des prototypes avait commencé depuis 8 mois lorsque la Navy émit de nouvelles exigences concernant la maniabilité et la charge militaire. Du coup, l'aile delta ne suffisait plus, et il était trop tard pour modifier en profondeur les prototypes. Les ingénieurs de Boeing modifièrent alors la dérive : à l'origine de type Pelikan (du nom de son inventeur, Ralph Pelikan), elle devint une dérive double traditionnelle. Une dérive Pelikan se distingue par un empennage horizontale prolongé par des dérives inclinées vers l'extérieur. Elle devait permettre la transition du décollage vertical au vol horizontal. La dérive double conventionnelle permit d'économiser du poids et d'améliorer la maniabilité, mais obligea les ingénieurs de Boeing à construire 2 prototypes différents.
Le vol inaugural du X-32A, conçu pour les décollage et atterrissages conventionnels aussi bien terrestres qu'embarqués, eut lieu le 18 septembre 2000, partant de l'usine de Boeing à Palmdale pour rejoindre Edwards Air Force Base. Le X-32B, la variante ADAV, vola pour la première fois le 29 mars 2001.
Le X-32B reprenait en gros le principe même de l'AV-8. Le concept de Lockheed-Martin était plus risqué, mais promettait une plus grande charge offensive et une meilleure autonomie s'il s'avérait réussi. De plus, l'aile elle-même, assez lourde, obligea Boeing à faire des démonstrations séparées entre vols ADAV et vols supersoniques, là où le X-35 pouvait faire la transition en vol. En effet, faire un décollage vertical avec le X-32 nécessitait d'enlever certaines parties de l'appareil. Boeing promit que les versions de série disposeraient d'un nouveau empennage qui éliminerait le besoin de configurations différentes.
Les essais se poursuivirent jusqu'en juillet 2001 : le X-32A accomplit 66 vols, dont des approches de porte-avions. Le X-32B effectua 78 vols, y compris un vol transcontinental entre Edwards AFB et NAS Patuxent River.
Le X-32A atteignit une vitesse de Mach 1,6 et une distance de 1574 km. Le X-32B avait une autonomie de 1112 km. L'armement prévu était un canon M61A2 de 20 mm, ou un Mauser BK27 de 27 mm pour la version internationale. Des soutes prenaient place de chaque côté du fuselage et permettaient l'emport de bombes et de missiles.
Le 26 octobre 2001, le X-35 fut déclaré vainqueur de la compétition. Bien que le X-32 soit moins risqué technologiquement et financièrement que le X-35, il s'avérait aussi bien moins performant et n'avais pas su convaincre le Department Of Defense qu'il pourrait concilier décollage vertical et vol supersonique, contrairement au X-35.
Pour Boeing, ce fut un choc majeur, car le JSF promettait d'être le plus important marché depuis le F-16, avec entre 3000 et 5000 exemplaires prévus. L'idée d'utiliser le perdant comme sous-traitant pour ce programme, avancée dès avant la proclamation des résultats, ne fut pas retenue.
Compte tenu des déboires du F-35, 15 ans après la sélection, on peut légitimement se demander ce qu'il se serait passé si le X-32 avait été retenu. Rien ne permet de dire que le programme se serait mieux déroulé, l'aile étant difficile à fabriquer, les performances insuffisantes, la transition vol vertical/horizontal n'ayant pas été faite…
Boeing considéra malgré tout son travail sur le X-32 comme un investissement stratégique, certaines technologies étant réutilisées sur le F/A-18E Super Hornet et le X-45A.
Les 2 exemplaires ont survécu jusqu'à nos jours. Le X-32A fut transféré au National Museum of the United States Air Force en 2005. Mais à force d'être exposé en extérieur, il a été détérioré. Depuis, il a été mis à l'abri et une restauration semble envisagée. Le X-32B fut transféré au Patuxent River Naval Air Museum en 2005. Il a été restauré en juin 2009 et est désormais en exposition.